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Méthodologie, Epistémologie et Ontologies pour la modélisation par Systèmes Multi-Agents appliqués aux Sciences Humaines et Sociales

Mots clef : Systèmes Multi Agents (SMA), Modélisation à base d'agents (ABM), Sciences Humaines et Sociales (SHS), épistémologie, méthodologie, ontologie, logique de description, systèmes complexes adaptatifs, agents réflexifs, agents cognitifs,agents comportementaux, réseaux sociaux, interactions, structure, médiation interdisciplinaire, points de vue, cadre conceptuel, causalité, intentionalité, externalisme, internalisme, effet de composition, individualisme méthodologique complexe, individualisme methodologique structurel, action collective, agentivité collective, objets sociaux, simulation sociale, spatial simulation for the social science (S4), Agent based Computational Economics (ACE), Agent based Computational Sociology (ACS), generative social science, emergence, bottom up, downward causation.

I - Projet porté par le réseau :

L'objet du réseau porte sur la discussion de questions Méthodologiques, Epistémologiques et Ontologiques (MEO) relatives à la modélisation à base d'agents (ABM) et de la simulation par SMA de systèmes complexes appliqués aux SHS.

Sur la base de notre expérience, le processus de modélisation, souvent interdisciplinaire pose de nombreuses questions de méthode, en particulier pour confronter les multiples points de vue des chercheurs, en particulier en ce qui concerne les cadres conceptuels d'arrière plan, structurés (souvent de manière implicites) par des considérations épistémologiques et par les méthodes en usages dans les disciplines. Notre objectif est de fournir un cadre conceptuel MEO multi-point de vue, susceptible de servir de médiateur entre les chercheurs engagés dans de telles recherches.

Notre projet à moyen terme est de construire une communauté interdisciplinaire associant informaticiens, modélisateurs et chercheurs SHS autour des questions MEO sur le thème de la modélisation à base d'agents et de la simulation par SMA de systèmes complexes appliqués aux SHS. On reprend un groupe informel constitué après Porquerolles 2005 et qui s'est retrouvé dans l'ANR-COSMAGEMS (2007-2009)

A court terme, il s'agit de discuter entre nous et avec des spécialistes SHS et Systèmes Complexes du contenu du livre collectif « Ontologies pour la modélisation par systèmes multi-agents en sciences humaines et sociales » (Phan dir.) afin de co-construire une version anglaise plus intégrative entre les points de vue des informaticiens, les questions MEO-SHS et l'étude des systèmes complexes, en vue de publication. Cet ouvrage qui capitaliserait les savoirs français dans ce domaine devrait (1) permettre de mieux faire connaître l'originalité de notre démarche (émergence, modélisation multi-points de vue, architectures SMA et concepts ABM pour SHS) à l'étranger et (2) de transmettre ce savoir aux plus jeunes chercheurs.

A plus long terme, il s'agit de former de jeunes chercheurs pour prendre la relève dans le domaine considéré.

II. La problématique :

Nos recherches concernent les aspects méthodologiques, épistémologiques et ontologiques (MEO) relatifs à la modélisation à base d'agents (ABM) et de la simulation par systèmes multi-agents (SMA) de systèmes complexes appliqués aux phénomènes cognitif et sociaux dans les SHS (Phan 2004, Amblard, Phan 2006, Phan, 2014).

Notre démarche, interdisciplinaire par nature, repose sur trois piliers :
(1) La production d'ontologies comme médiateur interdisciplinaire et moyen de comparer et de composer les points de vue (Livet et al. 2010, Phan (ed.), 2014 - en particulier la première partie: Livet et Sanders, chapitre 3, Müller, chapitre 4, Ferber et Phan, chapitre 5, Sibertin Blanc et Phan chapitre 6, et les travaux ultérieurs de Müller ).
(2) L'articulation entre la formalisation des structures relationnelles comme système complexe et les formes agentives : intentionnelles ou « comportementales » qui interagissent dans ces structures (Phan, 2014a,b)
(3) Les différents aspects de la cognition (individuelle ou sociale) concerne les interdépendances entre l'individu et collectif : les représentations et comportements collectifs émergent (Dessalles, Phan 2005, Dessalles et al. 2007a,b, Phan et Ferber 2014, Phan et al., 2014, Schmidt et Livet, 2014) de la composition des comportements individuels (y compris la communication) à travers des structures d'interaction informelles, mais aussi à travers des formes « encastrées » de ces relations plus ou moins institutionnalisés (règles, groupes, institutions et autres formes « d'objets sociaux »: Livet et Ogien, 2000, Livet 2006, Sibertin Blanc et Grossetti, 2014). L'ensemble de ces structures et objets sociaux peuvent ainsi être vu, d'un point de vue ontologique, à la fois comme des objets virtuels émergents et comme des déterminants des processus cognitifs et sociaux « réels » (Livet et Nef, 2009). Ceci nous amène à revisiter avec des moyens nouveau d'anciens débats SHS, que ce soit au niveau cognitif de l'action individuelle (émotions, perceptions, croyances, intentions et comportement : Livet, 2001,2002a-b, 2005), au niveau des comportements et apprentissages collectif (agentivité et action collective, effets « pervers » ou non intentionnels etc.Livet 1997, Cherkaoui, 2006) ou à l'interaction entre les deux (les structures déterminent-elles l'action ou l'inverse ? ou les deux à la fois ? cf. Hollis, 1994; Dubois et Phan, 2007, Schmidt et Livet, 2014)

voir pages :

1. Ontologies et composition des points de vue dans les modèles à base d'agents et les systèmes complexes en SHS : une construction interdisciplinaire.

2. Systemes complexes, effets de composition, emergence et formes agentives (intentionnelles et/ou comportementales ?)

3. La cognition et les objets sociaux : l'individuel, le collectif, les phénomènes et leur perception subjective (ou comment le virtuel agit sur les processus cognitifs et sociaux)

1. Ontologies et composition des points de vue dans les modèles à base d'agents et les systèmes complexes en SHS : une construction interdisciplinaire.

2.1. La construction d'ontologies comme médiateur dans la modélisation de systèmes complexes à base d'agents pour les SHS.

La formulation d’une ontologie est un des moments de la modélisation par Système Multi-Agents (SMA) en Sciences de l’Homme et de la Société (SHS). Nous définirons plus en détails dans la suite de la première partie de ce livre les notions d’ontologie, de modèle et de système (en particulier dans les chapitres 2 à 6). Pour commencer nous proposons au lecteur de courtes définitions de ces mots qui sont suffisantes pour comprendre ce chapitre introductif.

En ingénierie des connaissances, on peut voir une « ontologie » comme « une spécification de la conceptualisation d’un domaine (de connaissance) donné » [GRU 93]. Il s’agit en pratique d’identifier les types et propriétés des entités, phénomènes, évènements, processus et relations auxquels on se réfère dans le discours d’un domaine de connaissance (par exemple la géographie, la sociologie ou l’économie). Mais nos ontologies ne visent pas ce niveau de généralité, puisqu’on ne s’intéresse qu’à la modélisation par SMA d’un problème SHS. Il nous faut alors définir la notion de « modèle ». Nous reprendrons la définition de Minsky [MIN 65]  « Pour un observateur B, un objet A* est un modèle d’un objet A dans la mesure où B peut utiliser A* pour répondre aux questions qu’il se pose sur A ». Détaillons cette définition pour en préciser le sens. Nous avons un domaine empirique d’intérêt « A » (objet de nos investigations) que nous nommerons le « domaine de référence ». Le modélisateur « B » se pose une question « Q » qui concerne ce domaine de référence. Pour répondre à la question Q sur A, la modélisation comprend un processus d’abstraction du domaine de référence empirique A vers le modèle artificiellement construit « A* », avec l’idée que les entités, opérations et relations qui structurent le modèle A* sont « suffisantes » pour répondre à la question Q que pose B sur A. Un « système » peut être défini en première approximation comme un ensemble organisé d’éléments en interaction formant un tout. Un SMA est un système artificiel (informatique) qui comporte des éléments passifs, des éléments actifs (les agents) et des relations entre ces éléments. La modélisation par SMA est donc un processus d’abstraction qui va utiliser un modèle qui sera mis en œuvre sur un SMA.

La modélisation par SMA en SHS fait appel à différentes fonctions qui peuvent se traduire par la mise en présence de plusieurs interlocuteurs. Aux deux bouts de la chaîne, il y a d’une part une fonction d’expert du domaine de référence SHS, que nous désignerons dans ce livre comme « thématicien » ; d’autre part comme le modèle doit être mis en œuvre comme SMA, il y a une fonction de développement informatique (qui n’est pas au centre de cet ouvrage). Entre les deux, il y a nécessairement une fonction de modélisation, mais nous allons distinguer deux moments dans le processus d’abstraction qui va du domaine de référence à la mise en œuvre informatique. L’activité de modélisation nécessite en effet des connaissances qui sont exprimées dans un cadre de pensée général qui permet de les organiser systématiquement. Pour désigner un tel cadre de pensée, nous parlerons de « cadre conceptuel ». Nous proposons de distinguer deux cadres conceptuels correspondant à deux fonctions distinctes (figure 1).

 

figure 2. L’ontologie comme médiateur d’un dialogue conceptuel (source Phan, 2013, chapitre 1)

La première fonction se rattache à l'expertise propre au domaine SHS considéré, et s'exprime donc dans un « cadre conceptuel SHS » qui relève du thématicien spécialiste du domaine de référence. La seconde est une fonction de modélisation qui vise à la conception d'un modèle par SMA. Le modélisateur utilise donc un cadre conceptuel adapté à la conception de modèle par SMA que nous désignerons comme « cadre conceptuel de modélisation ». Dans ce cadre, le modélisateur pense en « concepts orientés agents », adaptés à la mise en œuvre par SMA. Les concepts du cadre conceptuel de modélisation restent en principe indépendants de leur mise en œuvre dans un SMA, pour laquelle le cadre de référence pertinent pourrait être désigné comme « cadre de développement ». L'exercice de description d'une ontologie peut ainsi être vu comme un dialogue conceptuel entre le thématicien et le modélisateur, et l'ontologie comme le médiateur de ce dialogue.

2.2. Les modèles à base d'agents conçus pour la simulation par SMA ont les caractéristiques et les propriétés d'un système complexe

Le système d'agents en interaction vu comme un système complexe. Au niveau des formalismes utilisés pour la modélisation en SHS, la « modélisation à base d'agents » (ABM) s'est développée en SHS dans les années quatre-vingt-dix afin de tirer parti des potentialités offertes par les systèmes informatiques, en particulier la modélisation par SMA. Ces modèles « à base d'agents », qui visent à simuler des agents en interactions locales, ont les propriétés d'un système complexe [MUL 02] ; c'est à dire d'un système dont on ne peut prédire le comportement à partir des seules propriétés des éléments qui les composent ( Phan, 2013, chapitre 6). Un modèle par SMA est donc également un système complexe.

 

figure 2. Le cadre conceptuel SHS, le formalisme ABM, les propriétés des Systèmes Complexes et la simulation par SMA (source Phan, 2013, chapitre 2)

On peut étudier de nombreux systèmes complexes sans utiliser des systèmes multi-agents, Par contre, on a besoin de recourir nécessairement aux SMA lorsque le cadre conceptuel de modélisation ABM devient plus riche, par exemple avec des agents cognitifs réflexifs, ou encore lorsqu'il y a plusieurs niveaux d'échelle ( Phan, 2013, chapitre 7), ou encore lorsque le modèle intègre plusieurs sous-modèles hétérogènes en interaction (Varenne, 2007 et Phan, 2013, Chapitres 4, 18). Pour les SHS, la modélisation « à base d'agents » permet ainsi de formaliser des situations complexes comportant des échelles (spatiales, temporelles, organisationnelles) multiples et des agents cognitifs hétérogènes engagés dans des activités sociales (Amblard, Phan 2006).

2.3. La pluralité des points de vue et sa modélisation.

Certaines questions posées pour résoudre des problèmes concrets nécessitent la contribution de différentes disciplines des SHS, ou un partenariat entre disciplines des SHS et d’autres disciplines. C’est le cas par exemple de la modélisation des socio-écosystèmes pour lequel on s’intéresse à la fois aux processus biophysiques, aux processus sociaux et aux interactions entre ces processus. Cette multiplicité des points de vue disciplinaires nous amène alors à la question : « Comment concrètement représenter et intégrer les connaissances de disciplines hétérogènes au sein d’un même modèle ? ».

A l’intérieur d’un même point de vue disciplinaire (par exemple en sciences sociales), les systèmes sociaux que l’on cherche à modéliser sont également constitués d’une multiplicité de niveaux d’organisation (réseaux sociaux plus ou moins structurées, communautés épistémiques ou de pratiques, organisations coutumières, associations, services de l’état, unités administratives, etc.). Ces niveaux d’organisation induisent eux-mêmes des points de vue différenciés sur le monde qui expliquent en partie les comportements observés. Ainsi une personne pourra être un citoyen du point de vue de l’état, un habitant vis-à-vis d’une commune, un membre d’une association, le père (ou la mère) d’une cellule familiale, etc. Chacun de ces points de vue est associé à des droits, devoirs et comportements très différents. Il en est de même des objets passifs comme un arbre qui peut appartenir à une espèce protégée du point de vue du droit, mais est aussi un réservoir de carbone, un milieu favorable à certains oiseaux et fournit finalement un excellent bois de construction sous la forme de grume. Il en est de même de cet objet particulier qu’est l’espace, induisant ainsi des structures territoriales fortement emboîtées et imbriquées. Cette multiplicité des points de vue induite par les structures sociales nous amène alors aussi à la question : « Comment concrètement représenter et intégrer de multiples interprétations sociales de la réalité au sein d’un même modèle ? ».
Ces questions présentent à la fois des différences et des similarités. Elles sont différentes car dans le premier cas, il s’agit d’intégrer différents points de vue disciplinaires sur un même système alors que dans le second cas, il s’agit d’intégrer différents points de vue des agents pour rendre compte de la dynamique du système lui-même. Donc dans le premier cas, les points de vue sont extérieurs au système (ce sont les points de vue des observateurs), dans le second cas, ils sont internes au système (ce sont les points de vue des acteurs individuels ou collectifs du système). Elles sont les mêmes, car dans les deux cas, il s’agit de représenter et d’articuler des points de vue hétérogènes. On peut même aller plus loin en faisant remarquer que les points de vue disciplinaires sont eux-mêmes socialement constitués à travers la structuration des sciences et la constitution de communautés épistémiques plus ou moins institutionnalisées. Il n’y a donc pas de différence de nature, seulement une différence de posture selon que l’on se considère comme partie prenante du système étudié ou pas.

Jean Pierre Müller (Muller, 2013, chapitre 4 de Phan, 2013) considère que la modélisation est, dans une première étape, un processus d’ingénierie des connaissances et, qu’à ce titre, on peut utiliser les nombreuses propositions faites en Intelligence Artificielle pour représenter les connaissances (logique, langages centrés-objets, graphes conceptuels, ontologies, diagramme de classe). Tous ces formalismes descriptifs peuvent s’exprimer en utilisant des logiques suffisamment générales. Les logiques de description en constituent un cas particulier qui recherche le compromis entre expressivité (pouvoir dire tout ce qu’on veut dire) et décidabilité (pouvoir faire les calculs avec cette logique en un temps fini). De plus, elles sont très orientées vers la définition de terminologies. Enfin, son extension contextuelle permet facilement d’exprimer les articulations entre points de vue, ce qui n’est pas facilement représentable par des représentations des connaissances graphiques. Ce principe a déja été utilisé dans (Livet et al. 2010) pour la construction d'ontologies pour la modélisation ABM en SHS. Dans le chapitre 4 de ( Phan, 2013), Jean Pierre Müller introduit les logiques de description, qu’il étend dans une version contextuelle. Il applique ce cadre logique et conceptuel à la conception de modèles prenant en compte plusieurs points de vue, qu’il illustre par exemple tiré d’une question SHS (le choix des collèges dans une région et les dynamiques socio-spatiales associées) dont la pluralité des points de vue (externaliste / intentionnel) est discutée par les chercheurs SHS (géographes, sociologue économistes) concernés dans le chapitre 18 de ( Phan, 2013).

3. La pluralité des cadres conceptuels d'arrière plan pour la modelisation des phénomènes sociaux comme systèmes complexes d'agents en interaction

L'explicitation des ontologies et/ou le modélisation des points de vue dans un langage de description formel n'est pas seulement une médiateur pour la modélisation et une méthode de communication interdisciplinaire pour faciliter le passage d'un cadre conceptuel à un modèle formel. Ce travail peut avoir un effet en retour sur les cadres conceptuels d'arrière-plan des sciences humaines et sociales (SHS) elles mêmes, et au-delà, sur la manière dont les thématiciens experts d'un domaine des SHS peuvent penser la nature et la forme des informations à collecter et à organiser dans leur domaine de référence empirique.

En effet, le cadre conceptuel de modélisation à base d'agents (ABM) comprend à minima un système et des agents. Le système est formé d'entités en relation entre elles. Les entités peuvent être passives ou actives (les agents). La définition des agents comme entités actives présuppose une définition préalable de l'action et de l'agentivité : qu'est ce qu'une action et qu'est ce qu'un agent ? Les relations entre les agents et entre ces derniers et leur environnement entraine également que ceux-ci doivent être dotés de la capacité de percevoir, émettre, traiter ou produire de l'information. Ces relations externes aux agents peuvent être analysés comme des réseaux sociaux dont les structures ont le plus souvent les caractéristiques et les propriétés de systèmes complexes.

3.1. L'articulation compréhension explication et la question de la spécificité des SHS.

D'un point de vue méthodologique, on peut centrer l'analyse sur ces propriétés « externes » aux agents, sur les raisons « internes » qu'ont les agents d'agir, ou chercher à articuler les deux dimensions. On retrouve alors de vieux débats sur la spécificité des SHS. Une démarche scientifique doit-elle se limiter à l'étude des phénomènes observables empiriquement ou peut elle remonter jusqu'à des déterminants non observables (comme les raisons, croyances ou intentions ?). Un autre point d'entrée dans ce débat oppose un point de vue dualiste qui considère que les SHS sont épistémologiquement d'une nature différente des sciences de la nature, et relèvent donc d'une méthodologie différente de celle inspirée par un point de vue positiviste moniste, que l'on résumera de la manière suivante : (1) la science repose sur des « lois » établies empiriquement et (2) les SHS pourront être considérées comme des sciences lorsque l'on aura pu y appliquer les méthodes nomologiques (lois) qui ont fait leurs preuves dans les sciences de la nature. En sociologie, par exemple, on a pu opposer une sociologie dite « statistique », largement utilisée dans ce domaine depuis Durkeim, qui cherche des « lois phénoménales », et une sociologie « compréhensive » (le point de vue subjectif de son auteur et de ses raisons) initiée par Weber. En pratique, les choses sont plus subtiles, puisque si Weber considère que l'action sociale doit d'abord relever d'une approche compréhensive, on doit ensuite expliquer causalement ses conséquences de cette action (Weber 1965).

Dans les années cinquante, ce débat oppose d'une part (1) le modèle « déductif nomologique » d'Hempel-Nagel, très critique sur l'analyse par les raisons et (2) les wittgensteiniens (Anscombe, Winch..) qui considèrent que les « raisons » ne peuvent être considérées comme des causes explicatives, car si selon (1) toute explication causale doit reposer sur une loi générale, qualifiée de « causale », comme l'explication de l'action par des raisons concerne des phénomènes mentaux non observables, elle ne peut reposer sur de telles lois empiriques générales, et les sciences sociales révèlent donc d'une approche différente.Pour Davidson (1980) comme pour Weber, une explication par les raisons n'est pas incompatible avec une explication par les causes ; il s'agit même d'un cas particulier d'explication causale. Selon lui, est possible d'expliquer des actions intentionnelles par des raisons d'agir, motivées par des désirs et des croyances (non observables) qui peuvent être considérées, lorsqu'on peut les identifier sous une description appropriée, comme les causes de ces actions. Nous désignerons comme « intentionnelle » cette approche internaliste de l'action (elle comprend des déterminants « intérieurs » : les raisons) et des effets externes (les actions et leurs conséquences).

Cette approche « intentionnaliste » peut être considérée comme une alternative à l'approche externaliste qui considère uniquement des caractéristiques observables du comportement des agents (extérieures à l'agent) : la sociologie « statistique », qui vise à connaître les faits sociaux « de l'extérieur » en étudiant leurs régularités, est un exemple d'externalisme. Adopter un point de vue intentionnel pour les agents revient à reconnaitre aux SHS un statut en partie différent par rapport aux sciences physiques, mais par rapport à l'approche wébérienne, on fait un peu « bouger les lignes » dans la mesure où si l'on étend le champ de l'explication, on conserve la compréhension, puisqu'on doit toujours in fine interpréter pour identifier la description causale pertinente.

3.2. L'approche intentionnaliste, les propriétés des systèmes complexes et la sémantique du modèle

Quelles sont les conséquences pour la modélisation à base d'agents de phénomènes sociaux d'une approche qui adopterait un point de vue « intentionnel » pour les agents ? Contrairement à ce que soutiennent les approches compréhensives purement qualitatives, on peut modéliser la relation entre les raisons et les actions en se référant à un cadre conceptuel d'arrière-plan formalisé de type intentionnel, comme par exemple la théorie de la décision, la théorie des jeux ou à des approches initialement moins formelles, mais formalisables, comme la théorie de l'action organisée (voir Chapitre 15 de Phan, 2013 pour une formalisation) ou encore l'approche « BDI » (pour Belief, Desire, Intention), inspirée de la philosophie analytique de l'action (Davidson, 1980, Bratman, 1987, Dennett 1987) et utilisée en IA et pour les SMA ([RAO 91], [GEO 99]). Formaliser un point de vue « intentionnel » pour les agents revient à donner au niveau (logique) du modèle un statut équivalent aux mécanismes cognitifs internes à un agent (entre les raisons internes et les actions effectives) et aux mécanismes externes plus généraux qui peuvent être utilisés par exemple pour formaliser les interactions entre les entités du modèle, vu comme un système complexe.

Un SMA est un système complexe artificiel. Les propriétés d'un tel système sont analysables avec les mêmes outils que les systèmes complexes physiques, et à structure équivalente, ont les mêmes propriétés. Ainsi, de nombreux modèles économiques ou sociaux reposent-t-ils sur des structures formelles que l'on peut appliquer aussi bien à des phénomènes physiques qu'à des phénomènes qui relèvent des SHS. C'est par exemple le cas du modèle développé par Gordon, Nadal, Phan et co-auteurs (REF, plus loin « GNP ») qui est en homologie structurelle avec le modèle de ferro-magnétisation étudié par Ising (voir Phan, Gordon, Nasal 2004 pour une comparaison). Des rapprochements similaires ont été faits avec le modèle de Schelling ([VIN 06], [GAU 09], [GAU 10]). Les physiciens utilisent la notion de « classe d'universalité » pour caractériser certains types de systèmes complexes formés d'entités en interaction et prédire le comportement qualitatif de ces système à partir de deux dimensions caractéristiques de la structure formelle du système considéré indépendamment des autres détails du modèle comme du domaine d'application de ce système (Weisbuch 1989). On observe en particulier de telles régularités sur des classes de réseaux (petit monde [WAT 99] et invariant d'échelle [BAR 03]) quel que soit le domaine de référence empirique où l'on peut observer de telles structures de réseaux ([BAR 02], [MEN 03]). Si les détails des modèles diffèrent, la structure syntaxique du « cœur » du modèle pour les relations externes est la même et en conséquence, les propriétés « génératives » associées présentent aussi des similarités. Mais la sémantique est différente. Pour une approche « intentionnelle », l'interprétation d'ensemble de ces propriétés du point de vue SHS appelle un questionnement spécifique sur le rôle respectif des raisons d'agir et des structures d'interactions dans les phénomènes engendrés par les simulations. Pour Boudon (1979) les structures ne définissent que le champ du possible et ne peuvent en soi constituer l'explication ultime du phénomène considéré.

A l'appui de cet argument, on peut prendre l'exemple du modèle de choix discret avec externalité « GNP »cité précédemment. Les propriétés « compositionnelles » (ou « structurales ») de ce modèle correspondent pour les physiciens à celle d'un modèle d'Ising à désordre « gelé » (dit « T=0 ») et sont entièrement données par la distribution de probabilité de valeurs « gelées » propres aux éléments en interaction, une constante / commande exogène extérieure au système et un paramètre qui formalise la force des interactions entre les éléments. Ces propriétés compositionnelles s'appliquent à tout modèle qui a la même structure formelle. Dans le modèle « GNP », elles correspondent à la formalisation d'un modèle d'agents qui font un choix discret avec influence sociale [GOR 09]. Mais le modèle formel en lui-même n'explique rien sans sa sémantique. Dans le cas qui nous intéresse, les choix des agents font l'objet d'une formalisation auxiliaire, ancrée à la fois dans la théorie de la décision et dans la théorie des jeux, qui peut être interprété comme une formalisation des raisons primaires (croyances, préférence, sous contrainte budgétaire) dans une description qui les rend causales au sens de Davidson, mais aussi de l'effet de l'influence sociale (tout aussi inobservable que les raisons primaires) sur le choix des agents. L'explication des propriétés du modèle, du point de vue des SHS, ne fait sens que dans cette sémantique, et n'a rien à voir avec l'interprétation que l'on peut faire d'un modèle où la structure des interactions serait similaire dans une autre discipline, même si l'on emploie parfois des mots similaires pour désigner des propriétés de ces modèles.

Du point de vue de la formalisation du modèle, ces « raisons » formalisées comme des mécanismes de décision « internes » à l'agent ont par construction le même statut formel que les structures d'interactions. Mais si l'on considère la portée explicative du modèle pour les phénomènes empiriques dont on cherche à rendre compte, la situation est différente, car on retrouve le problème des observables et des non-observables déjà discuté au sujet des raisons d'agir qui ne peuvent être considérés comme des causes que sous une certaine description. Dans le cas du modèles d'influence sociale « GNP », à la différence par exemple d'un champ magnétique entre deux spins, nous n'avons pas plus de moyens directs d'observer ou de mesurer les effets d'influence sociale du « voisinage » d'un agent sur ses raisons primaires d'agir (croyances et désirs - préférences) que de le faire pour les raisons primaires elles mêmes. Techniquement, cette influence joue sur les préférences et la structure résiliaire dont il est question est une construction intersubjective et non objective comme le serait un réseau physique (route, télécommunication) ou même un réseau virtuel de pointeurs hypertexte.

3.3. Les approches non intentionnalistes et les modèles à point de vue alternatifs

La modélisation à base d'agents n'entraine pas nécessairement que ces agents soient intentionnels, ou même qu'ils figurent des personnes humaines. Les géographes considèrent par exemple que les « villes » peuvent être considérées comme des agents en interaction dans un système de villes. Les simulations résultantes exhibent des propriétés typiques de systèmes complexes formés d'entité en interaction résiliaire, comme des distributions rang-taille (REF)

Dans le cas où les agents modélisent des personnes humaines, il peut être intéressant de développer un modèle qui articule des points de vue alternatifs, par exemple, un modèle qui combine sur un même problème une approche externaliste et une approche internalistes vus comme des candidats explicatifs concurrents du même phénomène (Muller et al. 2011, François et al. 2013 : chapitre 18 de Phan, 2013). Si ces deux variantes du modèle ne diffèrent que par la formalisation des comportements et non par les structures d'interactions, nous disposons d'un excellent benchmark pour identifier les situations où les propriétés du modèle dépendent principalement se la structure de système complexe des réseaux d'interaction de celles ou celles-ci résultent principalement des raisons d'agir telles qu'elles ont été formalisées dans la version « intentionnelle » du modèle.

3.4. L'approche naturaliste et le formalisme "MASQ"

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4. Comite de pilotage du réseau

* membres du Réseau National des Systèmes Complexes (RNSC)

Activités passées communes aux membres du comité de pilotage du réseau, en rapport avec son objet:

Les SMA sont des systèmes complexes artificiels que nous utilisons pour la modélisation à base d'agents en interaction de phénomènes sociaux et spatiaux vus comme des systèmes complexes.

Pour les SHS, la modélisation de SC et par SMA pose des problèmes spécifiques qui appellent un approfondissement.

Notre engagement dans les Systèmes Complexes est ancien ; à l'exception de Pierre Livet, les pilotes du réseau sont tous membres du RNSC et Jean Pierre Müller est co porteur de ISC-LR ; Denis Phan a animé l'AC systèmes Complexes pour SHS et l'école CNRS d'Agay 2004 (Dynamique des systèmes complexes et applications aux SHS : modèles, concepts méthodes) toutes deux dirigées par Gérard Weisbuch et co-piloté le projet AC-SC ELICCIR (Emergences, de L'Individu au Comportement Collectif : Interactions et Représentations).

Notre activité centrée sur la modélisation à base d'agent (ABM), la simulation par SMA et la réflexion MEO ont commencé avec deux écoles thématiques CNRS auxquelles les membres du comité de pilotage ont tous participé (à l'exception de Christophe Sibertin Blanc)

Participation à des projets ANR

ANR - CORPUS - COSMAGEMS : Corpus d'Ontologies pour les Systèmes Multi-Agents en Géographie, EconoMie et Sociologie.: Tous les membres du comité de pilotage ont activement participé à ce projet (voir publications) ainsi qu'à l'ouvrage issu de ce projet (et prenant en compte les acquis des projets ultérieursq DYXI et TransMonDyn, voir ci dessous) qui constitue le point de départ de notre projet : Denis Phan (dir.) Ontologies pour la modélisation par systemes multi-agents en sciences humaines et sociales à paraitre fin 2013 chez Hermes Lavoisier (cf. chapitres 1 à 6 et 14 à 20)

ANR - SYSCOMM (programme "Systèmes complexes et modélisation mathématique") DYXI : Dynamiques Citadines Collectives : Hétérogénéités Spatiales et Individuelles (projet porté par Jean Pierre Nadal ; equipe GEMASS - Géographie cité comprenant : Jean Pierre Müller, Denis Phan, Lena Sanders Roger Waldeck)

ANR -TransMonDyn : évolution et les transformations des systèmes de peuplement sur le temps long, (projet porté par Lena Sanders , comprenant Jacques Ferber, Pierre Livet, Denis Phan, Franck Varenne)